Le roman s’ouvre sur une scène douloureuse : Sally, la quatrième épouse du grand professeur de littérature John Hubbard Wilson doit se résoudre à hospitaliser l’être aimé dans une institution adaptée car le vilain monstre Alzheimer grignote depuis trop longtemps son cerveau. Spécialiste incontesté de Shakespeare, ce dernier a voué au grand dramaturge toute sa carrière et toute sa vie. Depuis son coup de foudre shakespearien lorsqu’il n’était encore qu’un adolescent, les répliques et les expressions (des pièces et romances) « lui viennent comme des respirations, comme des cadeaux. » (cf. : p. 21). William S. l’habite depuis ce jour. Dans sa chambre, si silencieuse où peut entendre égrener le temps, John se remémore les instants passés, heureux et douloureux. Pour dire sa peine, ses espoirs et ses craintes, il convoque tirades et versets de celui qui célébra dans ses derniers écrits « le triomphe de l’art et le cadeau des secondes chances. » (p. 45). Une seconde chance espérée par Sally pour John et sa fille unique Miranda brouillés depuis plus de dix ans. Par flash-back, nous entrons sur la pointe des pieds dans le microcosme de cette belle relation filiale éclatée. Telle blessure ravivée, tel espoir ranimé, autant de souvenirs rappelant que « c’est ce qui se passe pendant qu’on est vivant qui doit compter, ce que nous apprenons, ce que nous savons, ce que nous finissons par comprendre avant de disparaître. »


Coup de cœur ! Roman sensible traitant avec subtilité et pudeur d’un thème grave et ô combien actuel : vivre l’Alzheimer … « Depuis une heure, un jour, une année, le lecteur, comme John regarde son petit coin du monde, de l’autre côté de la fenêtre, devenir plat et plus feutré au gré du soleil pâlissant au-dessus du mur avec le soleil qui décline. Il pense aux fins alors que les ombres penchent vers le soir. » (p. 140). Une ode à la littérature et tout particulièrement aux vers shakespeariens qui font croître notre altruisme, développent notre sentiment d’appartenance au genre humain. Ils « laissent imaginer l’humanité chez autrui et nous aident à la trouver en nous-mêmes. » (p.31). L’auteure relate à merveille la passion pour l’homme de lettres que les générations passées lui ont transmise. Si ce n’est déjà fait, vous aurez le désir de lire Shakespeare, l’ami fidèle qui nous tient la main, même au bout du chemin. Une belle empathie pour l’Homme se dégage de chaque page où l’être est chanté, une belle leçon de vie et d’humanité. Caroline