PRIX RENAUDOT ESSAI 2020 :

 « On raconte qu’elle a commencé à limiter ses visites au village, pour rester ensuite cantonnée au jardin, avant de ne plus guère quitter la maison, puis le deuxième étage, pour finalement élire domicile dans sa chambre, dont elle ne sortait qu’en cas de stricte nécessité. Mais en vérité, elle vivait depuis longtemps dans bien plus petit encore : un bout de papier grand comme la paume. Cette maison-là, personne ne pourrait la lui enlever. » (p.120)

 

Les villes de papier, une vie d’Emily Dickinson314ztxrtLbL. SX195

Dominique Fortier

Éditions grasset – septembre 2020

 

Emily a passé sa petite enfance et sa vie d’adulte à homestead dont le nom laisse deviner qu’il s’agissait de l’incarnation même de ce qu’est un « home » - plus qu’une maison, un foyer, plus qu’un foyer, le feu qui y brûle. Elle y coule des jours heureux, constamment scindée en deux, à tenter de vivre et d’écrire la vie en même temps. Mais les mots sont des créatures fragiles à épingler sur le papier. Ils volent dans la chambre comme des papillons. Ou bien ce sont des mites échappées des lainages – des papillons à qui manquent la couleur et l’esprit d’aventure. Quelle est la catastrophe à laquelle elle tente d’arracher ces vers, est-ce l’oubli, la mort, le brasier qu’est le monde, elle ne saurait le dire…chaque poème est un minuscule tombeau élevé à la mémoire de l’invisible. Mais celle qui choisit de passer la seconde partie de son existence dans un singulier isolement ne vit pas cachée ni recluse. Elle est au cœur des choses, au plus profond d’elle-même, recueillie, posée en équilibre entre les abeilles du jardin et les deux Ourses, la grande et la petite. Les jours se suivent identiques et toujours différents et c’est dans cette exquise répétition des choses, dans ce temps suspendu, qu’elle arrive, par éclairs, à saisir ce que murmure l’herbe et ce que souffle le vent…

On ne peut aborder Emily qu’avec beaucoup d’humilité et infiniment de respect. Ce à quoi s’exerce l’auteure en nous offrant des bribes d’impressions, de sensations pour tenter d’effleurer l’essence de cet être exceptionnel à l’âme d’enfant. Celle que son frère Austin nomme « la lady de la maison », évanescente et énigmatique, immortalise par sa plume, l’essentiel, les fragments de vie, ignorés de tous. Ou presque... Un bel hommage à une femme de l’ombre placée quelques instants dans la lumière. Coup de cœur ! Caroline

  • Littérature canadienne – biographie romancée – poétesse
  • Prix Renaudot Essai 2020
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Proposé par Caroline ( Médiathèque Paul Valéry GARGENVILLE )